Dans le film musical, Garfield joue le créateur de « Rent », qui est mort subitement à 35 ans. Faire ce film a aidé Garfield à gérer un décès dans sa propre vie.
« Tick, Tick… Boom » parle de Jonathan Larson, qui a créé « Rent ». Pour Andrew Garfield, « chaque image, chaque moment, chaque respiration du film est une tentative pour honorer Jon. Et, à un niveau plus personnel, c’est un hommage à ma mère. » -Alana Paterson pour le New York Times
Par Kyle Buchanan - Article original à retrouver ici
Publié le 16 septembre 2021 – Mis à jour le 6 octobre 2021
Traduction par Laurène Dardinier
Jon (Andrew Garfield) organise une fête, même s’il n’y a pas grand-chose à célébrer. Il est déchiré par l’anxiété, son appartement exigu est rempli de monde, et il vient de dépenser de l’argent qu’il n’a pas, un acompte sur le succès qu’il n’obtiendra pas de son vivant. Mais malgré tout, avec un grand sourire, Jon porte un toast à ses amis, saute sur son canapé et chante « This is the life! »
Jon est Jonathan Larson, le compositeur et dramaturge subitement décédé d’un anévrisme de la aorte à 35 ans en 1996 juste avant que sa nouvelle comédie musicale « Rent » ne devienne un succès mondial. Le nouveau film « Tick, Tick… Boom! » dépeint Larson luttant pour trouver le succès à la fin de sa vingtaine, alors qu’il se demande s’il devrait abandonner et choisir une voie plus conventionnelle que l’écriture de comédies musicales.
Larson avait à l’origine créé « Tick, Tick… Boom! » en 1990 comme un one-man-show, « Boho Days », avec lui-même ; après sa mort, le spectacle a été retravaillé par le dramaturge David Auburn en un spectacle avec 3 personnes que le créateur de « Hamilton », Lin-Manuel Miranda a vu en 2001, alors qu’il était encore en dernière année à l’université.
« Voilà cette comédie musicale posthume créé par l’homme qui m’a donné envie d’écrire des comédies musicales au départ », a déclaré Miranda, qui a maintenant fait ses débuts en tant que réalisateur avec le film.
Miranda a vu Garfield en 2018 dans le spectacle de Broadway « Angels in America » et a pensé qu’il était « transcendant » dedans. « Je suis parti en me disant simplement ‘oh, ce type peut tout faire’ », se souvient le réalisateur. « Je ne savais pas s’il pouvait chanter, mais j’avais vraiment l’impression qu’il pouvait tout faire. Donc je l’ai casté dans ma tête probablement un an avant de lui en parler. »
Miranda a mis Garfield à l’épreuve, en l’envoyant vers un coach vocal et en s’assurant que l’acteur pourrait suffisamment bien jouer du piano pour que la caméra puisse passer de ses doigts à son visage tout au long du film. Mais il ne s’agit que des aspects techniques d’une performance dont la possession est impressionnante : Garfield joue le rôle de Larson, passionné et frustré, avec suffisamment de brio zélé pour diriger toutes les lumières sur Broadway.
Garfield en tant que Jonathan Larson dans une scène de « Tick, Tick… Boom! » -Macall Polay/Netflix
L’acteur de 38 ans est récemment apparu dans « The Eyes of Tammy Faye » dans le rôle du disgracieux télévangéliste Jim Bakker et, si les rumeurs de la presse hollywoodienne sont exactes, il sera aux côtés de Tom Holland et Tobey Maguire dans « Spider-Man: No Way Home », qui sortira en décembre. (Garfield ne peut rien divulguer de ce rassemblement super secret de super-héros). Malgré cela, il est clair que « Tick, Tick… Boom! » signifie beaucoup plus pour lui que ce à quoi il s’attendait au départ.
« C’est une chose étrange quand il y a quelqu’un comme Jon avec qui vous n’aviez aucun lien avant, et puis soudain, il y a cette mystérieuse connexion que je ne laisserai jamais partir, jamais », m’a dit Garfield dans un récent appel vidéo depuis Calgary au Canada où il tourne « Under the Banner of Heaven », une mini-série. « Je me sens tellement chanceux d'avoir découvert Jonathan Larson parce que maintenant, je ne me rappelle plus de qui j'étais avant de savoir qui il était. »
Voici des extraits édités de notre conversation.
Comment « Tick, Tick… Boom! » est-il arrivé jusqu'à vous au départ ?
L’un de mes meilleurs amis à New York est Gregg Miele, et c’est le grand masseur de la ville de New York – il travaille avec tous les danseurs et acteurs et chanteurs de Broadway et d’ailleurs. Un matin, Lin était à sa table et a demandé « Est-ce qu’Andrew Garfield sait chanter ? » Et Gregg, en bon ami qu’il est, a commencé à mentir et a dit « Oui, c’est le meilleur chanteur que j’ai jamais entendu. » Ensuite il m’a appelé et m’a dit « Hey, va prendre des cours de chant parce que Lin va te proposer de faire quelque chose. »
Lin et moi avons déjeuné, et il m’a parlé brièvement de « Tick, Tick » et de Jon. Je ne suis pas un gars à comédies musicales à la base – ce n’est pas quelque chose qu’on m’avait présenté avant ces dernières années, vraiment. Donc Lin m’a laissé une copie de la musique et des paroles, et il a écrit dessus « Ca n’a pas de sens pour l’instant, mais ça en aura. Siempre, Lin. »
Garfield n’avait pas beaucoup chanté quand il a été casté dans « Tick, Tick… Boom! » contrairement aux vétérans des comédies musicales. « J'étais genre ‘Oh mon Dieu, je vais mourir !’ » -Alana Paterson pour le New York Times
Vous avez joué dans des pièces comme « Angels in America » et « Death of a Salesman » à Broadway, mais dans ce film, Lin vous a entouré de beaucoup d’acteurs de comédies musicales, et même certains des plus petits rôles et caméos sont tenus par des grands noms de ce monde. Cela a dû être un milieu intimidant dans lequel entrer.
Je me souviens d’un moment très précis où nous étions en répétition musicale. Alex Lacamoire était au piano et nous faisait écouter les chansons – c’est l’arrangeur et le producteur de Lin – et j’étais avec Robin de Jesus et Vanessa Hudgens et Josh Henry et Alex Shipp. Vous pouvez imaginer comment je me sentais ! Ce sont tous des pros, ils savent exactement ce qu’ils font, ils prennent des notes. J'étais genre ‘Oh mon Dieu, je vais mourir !’
Puis vient le moment pour moi d’entrer dans la chanson et j’essaye juste de m’en sortir. Je me souviens d’Alex Lacamoire faisant « Woo, Andrew ! » Et puis tout le monde derrière lui, Josh et Vanessa et Alex et Robin, était en mode « Yeah bébé, c’est ça bébé ! Tu l’as, bébé ! » Je suis devenu tout rouge et cinq minutes se sont passées, et j’étais genre « Hey les gars, désolé. » Je me suis mis à pleurer, et j’ai dit « Je ne sais pas si j’ai déjà été aussi heureux dans ma vie d’être entouré par les menteurs les plus encourageants que j’ai jamais vu. »
Garfield travaillant avec son directeur, Lin-Manuel Miranda, qui l’a casté après avoir vu l’acteur dans « Angels in America ». Miranda se souvient « Je ne savais pas s’il savait chanter, mais j’ai eu la sensation qu’il pouvait tout faire » -Macall Polay/Netflix
Jonathan passe le film à s’inquiéter de ce tic-tac que lui seul peut entendre. Comment avez-vous interprété cela ?
Il y avait une phrase dans « Boho Days », le one-man-show original : « Parfois, j’ai l’impression que mon cœur va exploser. » Après son décès, les gens ont trouvé que c’était trop direct et ils ont dû la retirer, mais il passe toute l’histoire à essayer de comprendre ce tic-tac : « Est-ce que c’est le fait d’avoir 30 ans ? Est-ce que c’est le fait que je n’ai pas réussi ? Est-ce une image inconsciente de l’horloge biologique de ma petite amie combinée à la pression de ma carrière ? Ou est-ce tous mes amis qui perdent la vie à un très jeune âge à cause de l’épidémie de SIDA ? »
Cela pourrait même être un métronome musical. La façon dont vous jouez Jonathan, comme cette personne théâtrale qui ressent des sentiments si profonds et urgents, c’est presque comme s’il avait besoin de se mettre à chanter parce que la normale ne lui convient tout simplement pas.
Tout se passe toujours à 11h. Même quand il fait l’amour, c’est à 11h ! D’une certaine manière il sait que tout cela va se terminer, que tout ceci est si éphémère, et je pense qu’il était profondément, douloureusement conscient qu’il n’allait pas faire chanter la totalité de sa chanson. Et je pense qu’il était aussi douloureusement conscient qu’il n’allait pas avoir, tant qu’il était vivant, la réflexion et la reconnaissance qu’il savait qu’il était censé avoir.
Le dernier jour du tournage, ce que j’ai compris, c’est que Jon avait tout compris. Il savait qu’il s’agissait d’un voyage court et sacré, et il avait beaucoup de clés et de secrets sur la façon de vivre avec nous-mêmes et avec les autres, et sur la façon de donner un sens à notre présence ici. Une fois qu’il avait accepté cela, il a pu faire pleinement partie du monde, et il a pu écrire « Rent ». Je ne pense pas qu’il y ait de hasard là-dedans. Cette connaissance viscérale de la perte et de la mort, c’est ce qui donne tant de sens à tout. Et si nous n’en avons pas conscience, nous succombons à l’insignifiance.
Quel sens cette histoire a-t-elle eu pour vous ?
Chaque image, chaque moment, chaque respiration du film est une tentative pour honorer Jon. Et, à un niveau plus personnel, c’est un hommage à ma mère. C’est quelqu’un qui m’a montré où je devais aller dans ma vie. Elle m’a mis sur la voie. Nous l’avons perdue juste avant le Covid, juste avant le début du tournage, après une longue bataille contre un cancer du pancréas. Donc, à mes yeux, j’ai pu continuer sa chanson sur l’océan et la vague des chansons de Jonathan. C’était une tentative de l’honorer lui dans sa chanson inachevée, et elle dans sa chanson inachevée, et les faire se rencontrer.
Je pense que c’est en partie la raison pour laquelle je ne voulais pas que ce film se termine, parce que j’ai pu mettre mon chagrin dans l’art, dans cet acte créatif. Le privilège de ma vie a été d’être là pour ma mère, d’être la personne qui lui a donné l'autorisation quand elle était prête. Nous avions une connexion extraordinaire, et maintenant le public connaîtra son esprit d’une manière inconsciente à travers Jon, ce que je trouve tellement magique et beau.
« J’avais déjà perdu des gens avant, mais une mère, c’est différent » a déclaré Garfield, ajoutant « Rien ne peut vous préparer à ce genre de cataclysme. » -Alana Paterson pour le New York Times
Cela fait tout de même beaucoup de choses à gérer pendant le tournage du film. Ca n’a pas dû être facile.
J’étais hésitant à l’idée de partager cela, mais j’ai l’impression qu’il s’agit d’une expérience universelle. Dans le meilleur des cas, c’est nous qui perdons nos parents et non l’inverse, et je me sens vraiment chanceux d’avoir pu être avec elle pendant son départ, et d’avoir pu lui lire ses poèmes préférés et de m’être occupé d’elle et de mon père et de mon frère. J’avais déjà perdu des gens avant, mais une mère, c’est différent. C’est la personne qui vous donne la vie qui n’est plus là. Rien ne peut vous préparer à ce genre de cataclysme. Pour moi, tout a changé : là où il y avait un ruisseau, il y a maintenant une montagne ; là où il y avait un volcan, il y a maintenant un champ. C’est un voyage spirituel étrange.
Vous mettez des parties de vous-mêmes dans d’autres personnes, presque comme si elles étaient les gardiennes de ce que vous êtes. Et quand vous perdez ces personnes, soudainement vous devez leur gardien.
Comme vous l’expliquez, c’est comme si à présent ma mère vivait en moi d’une manière qui est peut-être plus forte que lorsqu’elle était ici. Je sens son essence. Pour moi, cela n’arrive que lorsqu’on peut accepter la perte, et c’est si dur de faire ça dans notre culture parce qu’on ne nous donne pas le cadre ni les outils pour le faire. On nous dit d'être dans l'illusion et le déni de cette chose universellement contraignante que nous allons tous traverser à un moment donné, et je trouve fascinant que cette grande aventure de la mort ne soit pas honorée.
En fait, la seule chose qui donne du sens à tout cela, c’est de marcher avec la mort dans le coin le plus éloigné de notre œil. C’est la seule manière d’être conscient que nous sommes vivant en cet instant. Je pense que c’est l’héritage que Jon laisse, et l’héritage que ma mère laisse pour moi personnellement, c’est simplement d’être là. Parce que vous n’allez pas être ici pour longtemps.
Ca me rappelle ce qui était écrit sur votre script avant que tout cela se produise : « Tu ne comprends pas pour l’instant, mais tu le feras. »
« Tu ne comprends pas pour l’instant, mais tu le feras. » Je suis encore sous le choc du processus de compréhension de ce dont parlait la vie de Jon, de ce dont parlait la vie de ma mère, de ce que tout cela signifie…
Mon Dieu, quelle chance d’explorer cela dans son travail !
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